Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500)

http://www.atilf.fr/dmf/definition/perdre 
     PERDRE     
FEW VIII perdere
PERDRE, verbe
[T-L : perdre ; GD : perdre ; GDC : perdre ; DÉCT : perdre ; FEW VIII, 221b : perdere]

I. -

Empl. trans.

A. -

Perdre qqc. "Être privé provisoirement ou définitivement de qqc."

 

1.

[La perte est d'ordre matériel : objet, bien, territoire ...]

 

a)

"Être dépossédé de" : Remondin, je ne vueil pas que tu laisses perdre l'eritaige qui est venuz de par tes ancesseurs en Bretaigne. (ARRAS, c.1392-1393, 48). Fol roy, par ta musardie te mescherra. Toy et les tiens decherront de terre, d'avoir, d'onnour et de heritaige, jusques a la IXe lignie ; et perdra par ta fole emprise le IXe de ta lignie le royaume que tu tiens. (ARRAS, c.1392-1393, 305).

 

-

[En partic., à la suite d'un combat, d'un fait de guerre] : La veissiez fier touilleiz ; mais en la fin Sarrasins perdirent le pont, et en chey pluseurs en la riviere. (ARRAS, c.1392-1393, 102). Et il passe le pont et vint dedens, et vint descendre ou lieu ou il avoit acoustumé de descendre, avant ce qu'il se apperceust qu'il eust perdu sa forteresse. (ARRAS, c.1392-1393, 204).

 

.

Perdre (la) place : Lors passent crestiens le pont moult ysnellement, et lors commenca fiere la bataille, et y ot moult de mors et de navrez, et reculent ly Sarrasin, et perdent place grandement. (ARRAS, c.1392-1393, 102). Atant estevous Poictevins qui leur ruent et se fierent en la presse par telle vertu que les Sarrasins perdent la place. (ARRAS, c.1392-1393, 138).

 

.

Pouvoir plus perdre que gagner : Et le soudan fait laissier l'escarmouche, car il voit bien qu'il y puet plus perdre que gaignier. (ARRAS, c.1392-1393, 98).

 

-

"Subir la confiscation de" : Et le lendemain, par matin, après la messe ouye, firent crier les deux freres, sur peine de perdre chevaulx et harnoiz et d'estre banny de leur compaignie, que chascun chevauchast tous armez soubz sa banniere, en belle bataille. (ARRAS, c.1392-1393, 155).

 

b)

"Laisser échapper, ne pas pouvoir maintenir à sa place" : Et fu le soudant si chargié du coup qu'il fut si estourdiz qu'il ne voit ne entent, et pert le fraing et les estriers, et l'emporte le cheval partout ou il lui plait. (ARRAS, c.1392-1393, 113).

 

2.

[La perte est d'ordre plus général (matériel, spirituel, affectif ...)] : Mon amy, puis que je me sui mise si avant, il m'en fault attendre la voulenté de Dieu et moy confier en vostre promesse. Or gardez que vous ne me failliez de convenant, car vous seriez cellui qui plus y perdroit après moy. (ARRAS, c.1392-1393, 42).

 

-

Ne rien perdre à qqc. "N'avoir rien à y perdre" : ...et disna Gieffroy avec le prieur, et lui dist en confession comment Remond estoit son pere, et comment il se prenist garde de lui, et que l'eglise n'y perdroit rien, et qu'il le vendroit veoir une foiz l'an, tant comme il vivroit. (ARRAS, c.1392-1393, 279).

 

-

Prov. : Il nous sera bien mal advenu se nous perdons nostre roy et nostre damoiselle. Le pays sera en grant orfenté de seigneur qui le gouvernera. Beaulx seigneurs, dist le cappitaine, il n'est pas tout perdu quanqu'il em peril gist. Ayez fiance en Jhesucrist, et Il vous gardera. (ARRAS, c.1392-1393, 114).

 

3.

[La perte est d'ordre physique]

 

a)

[Suj. animé] : Et aussi le roy affeblissoit fort, et avoit moult de sang perdu. (ARRAS, c.1392-1393, 106). L'espee fu bonne et bien trenchant ; si lui trencha le braz devant le coute, si que il vola par terre. Moult fu le jayant esbahy quant il ot perdu son bras. (ARRAS, c.1392-1393, 247).

 

-

En partic. Perdre la vie. "Mourir" : ...et l'autre partie faisoient grant doulour pour la blesseure du roy, dont on disoit que il n'y avoit remede nul qu'il ne perdist la vie. (ARRAS, c.1392-1393, 114).

 

.

Perdre corps. V. corps

 

b)

[Suj. inanimé] Perdre sa force. V. force

 

4.

[La perte est de l'ordre de la perception]

 

-

Perdre la vue de qqn/de qqc. "Cesser de l'apercevoir, le perdre de vue" : Et fu la galleote si esloingniee en pou de heure que nos gens en perdirent la veue, et virent bien que le suivir leur pourroit plus nuire que il ne leur pourroit avancier. (ARRAS, c.1392-1393, 139). Cellui chevalier se party, lui Xe. de chevaliers, tous armez, et suivoit Gieffroy de loing tant que oncques n'en perdy la veue. (ARRAS, c.1392-1393, 198).

 

-

Perdre la trace (d'un animal que l'on chasse) : ... le porc tourne et se met au cours par telle maniere qu'il n'y ot chien ne chevalier ne homme qui n'en perdist la trace et veue (ARRAS, c.1392-1393, 19).

 

5.

[La perte est d'ordre moral] : Haa, Melusigne, dist Remond, dame de qui tout le monde disoit bien, or vous ay je perdue sans fin. Or ay je perdu joye a tousjours mais. (ARRAS, c.1392-1393, 243).

 

6.

[La perte est de l'ordre de l'action]

 

a)

"Gaspiller, faire mauvais usage de"

 

-

Perdre ses paroles. V. parole

 

b)

"Compromettre, exposer à l'échec (une entreprise)" : Et pour ce je vous prie que, s'il a en ceste place homme qui ne sente son cuer ferme pour actendre l'adventure qu'il plaira a Jhesucrist de nous envoier, qu'il se traye a part, car par un seul couart failly est aucunesfoiz une besoingne perdue. (ARRAS, c.1392-1393, 109).

B. -

Perdre qqn.

 

1.

"Être séparé de qqn par la mort" : Par foy, fait ly uns, assez devons dueil mener, car nous perdons le meilleur roy et le plus preudomme qui oncques feust en ce royaume. (ARRAS, c.1392-1393, 114). Ma fille, laissiez ester ce dueil, car, en chose qu'on ne puet amender, c'est folie de s'en donner trop grant courroux, combien que c'est raison naturelle que la creature soit doulente de son amy ou de son proesme, quant on le pert. (ARRAS, c.1392-1393, 120).

 

-

[En parlant de combattants tués à la guerre] : Et sachiez que payens perdirent celle matinee plus de XXVm. Sarrasins qui furent mors par armes (ARRAS, c.1392-1393, 233).

 

2.

"Être privé de la compagnie et de la présence d'un être aimé" : Et tant qu'ilz [les maris de fées] leur tenoient leurs convenances, ilz estoient regnans en grant audicion et prosperité. Et si tost qu'ilz defailloient, ilz les perdoient et decheoient de tout leur bon eur petit a petit. (ARRAS, c.1392-1393, 4). Je [Remondin] vous ay [Mélusine] par mon faulx venin trahie. Helas, vous m'aviez mediciné de mon premier crueulx venin. Or le vous ay je crueusement mery, quant je vous ay trayee et menty ma foy envers vous. Par Dieu, se je vous pers pour ceste cause, je m'en yray en essil en tel lieu ou on n'ourra jamais nouvelles de moy. (ARRAS, c.1392-1393, 243).

 

-

Au passif : Dont remort conscience a Gieffroy, et lui souvint comment il avoit ars les moynes de Maleres, et l'abbé, et son frere Fromont, sans raison, et que par ce pechié avoit esté sa mere perdue. (ARRAS, c.1392-1393, 274).

 

3.

"Cesser d'apercevoir" : Respondez que vous ne le veistez depuis que la chasse commenca a estre forte, et que lors le perdistes en la forest de Colombiers, comme pluseurs firent, et vous en esbahissiez comme les autres. (ARRAS, c.1392-1393, 26).

 

4.

"Laisser échapper"

 

a)

[Le compl. d'obj. désigne un ennemi] : Mais il y convient mettre garde, car par ce pourrions nous perdre les chiefs et les plus grans, qui nous pourroient depuis nuire. (ARRAS, c.1392-1393, 135).

 

b)

[Le compl. d'obj. désigne un cheval]

 

-

Prov. : ... c'est mauvaise compaignie que de traitours. Il fait bon fermer l'estable avant que le cheval soit perdu. (ARRAS, c.1392-1393, 74).

 

5.

[Au sens actif] "Provoquer la défaite de qqn" : ... il rua moy et mon cheval par terre si durement que je n'oy ne entendy, et juz long temps a la terre tous estourdiz. Mais Mahon, qui pas ne me vouloit perdre, m'envoya secours de LX. Sarrasins (ARRAS, c.1392-1393, 234).

II. -

Part. passé en empl. adj.

A. -

"Gâché, gaspillé"

 

-

Peine perdue. "Entreprise inutile" : Cest homme ne puet longuement durer, car il ne craint rien ; ne aussi de lui conseillier est peine perdue, car on m'a bien dit pieca, dist le duc Anthoine, qu'il ne veult riens faire fors sa pure voulenté. (ARRAS, c.1392-1393, 283).

B. -

"Conduit à sa perte" : Monseigneur, se ne feust la grace de Nostre Seigneur et la puissance de monseigneur vostre frere et de vous, ceste povre orpheline estoit desolee et perdue, lui et son pays, et cheue en grant adversité entre les mains des Sarrasins. (ARRAS, c.1392-1393, 192).
 

Arras Jocelyne Bernardoff / Jean-Loup Ringenbach


© ATILF - CNRS & Université de Lorraine 2015
La présente ressource est produite et diffusée par l’ATILF à des fins de consultation pour l’enseignement et la recherche, à l’exclusion de toute exploitation commerciale. La citation d’un extrait de la ressource au sein d’une publication scientifique est autorisée sous condition de porter la mention suivante :
DMF : Dictionnaire du Moyen Français (DMF 2015), http://www.atilf.fr/dmf, ATILF - CNRS & Université de Lorraine.